Par Abderrafi EL MAATAOUI
Certified Islamic Finance Expert, et Expert comptable DPLE
Depuis plusieurs années, la gouvernance d’entreprise (corporate governance) s’est hissée progressivement pour occuper une place centrale dans le management des banques conventionnelles. Cet intérêt s’est davantage accentué en raison de la crise financière internationale des années 2007 à 2009.
Par la nature éthique de leurs activités, les institutions financières islamiques ne pouvaient qu’emboîter le pas de cet intérêt international pour la gouvernance d’entreprise, et même aller au-delà de ses exigences en adoptant un modèle de Sharia governance. En général, trois variantes de schémas existent à ce sujet :
- Le modèle centralisé qui se caractérise par un Sharia Board central géré souvent au sein des banques centrales comme c’est le cas pour la Malaisie, le Pakistan, et l’Indonésie
- Le modèle libéral selon lequel chaque institution financière établit son propre Sharia board et dispose des ses propres règles et « fatwas de conformité ».
- Un système « hybride » qui emprunte ses caractéristiques aux deux modèles centralisé et libéral. Le projet marocain va dans le sens de cette configuration.
D’un autre point de vue, les institutions financières conventionnelles désireuses de se lancer dans les activités de finance islamique, que ce soit pour l’activité détail ou pour celle de l’investissement, devront emprunter théoriquement trois configurations possibles :
1. La transformation totale en banque islamique
C’est la solution la plus lourde, la moins commode, et la plus coûteuse. Elle suppose une refonte totale de l’activité conventionnelle, et une transition globale des encours de crédits reçus, des crédits donnés, des dépôts, des investissements… Selon le standard n°6 de l’AAOIFI, la transition de l’activité bancaire conventionnelle en activité compatible avec la Sharia, devrait être totale et immédiate. Cette première configuration avait été adoptée par certains pays comme le soudan.
2. La création de guichets islamiques (islamic windows)
Au sein mêmes des banques conventionnelles, les « islamic windows » sont de simples départements internes chargés de gérer un pôle d’activités compatibles aves la Sharia de bout en bout avec une nette séparation par rapport aux activités bancaires conventionnelles. Le développement rapide de la finance islamique avait poussé plusieurs banques conventionnelles à adopter, dans la précipitation, cette configuration, qui nécessite un minimum d’organisation et de restructuration. Les principales conditions de validité du modèle des guichets islamiques sont au nombre de cinq :
- Une séparation nette entre les activités de finance islamique et les activités de finance conventionnelle.
- L’institution d’un Sharia Board ;
- Un management complètement convaincu par les concepts de la Sharia ;
- La protection et la sauvegarde des fonds déposants et des investisseurs ;
- La conformité avec les standards de l’AAOIFI.
Cette solution, pourtant simple et commode pour les banques conventionnelles, a essuyé des critiques sévères quant à sa crédibilité, et à la réalité de la séparation des activités financières conventionnelles et islamiques.
La décision de la banque Centrale du Qatar prise en 2011 et ordonnant à toutes les banques conventionnelles de fermer les « islamic windows », est une parfaite illustration de ces critiques. Cette décision, quant bien même fortement contestée par plusieurs institutions et Scholars, vise à concrétiser dans la réalité le principe de séparation des activités, des actifs, et des fonds, à assurer une plus grande transparence, et à améliorer le niveau de la Sharia governance. Néanmoins, cette décision brusque n’a pas manqué de perturber l’équilibre du marché bancaire de ce pays avec des implication en termes de concurrence bancaire et de redéploiement entre les banques conventionnelles et les banques islamiques.
Cette expérience étrangère nous amène à tirer des leçons pour la naissance et l’avenir des banques alternatives au Maroc. An effet, même si les « islamic windows » offrent l’avantage indéniable de la simplicité et de la commodité, ils présentent également l’inconvénient commercial d’une perception défavorable du grand public. Cette solution, par essence intérimaire, pourrait être permise dans un premier temps pour faciliter la mise en place et le lancement des activités participatives. A terme, dans un horizon de trois à cinq ans, l’externalisation totale des ces activités nous paraît inéluctable.
3. La création de filiales spécialisées en banque islamique
La filialisation des banques islamiques est la troisième configuration possible. Elle présente l’avantage de contourner les difficultés des deux modèles précédents. La création de filiales spécialisées présente également d’autres avantages aussi importants à savoir :
- La supervision de l’adéquation du capital et du respect des règles prudentielles par la banque centrale s’avèrerait plus facile ;
- L’uniformité des risques contractuels des institutions islamiques (risques contractuels typiques au titre des contrats mourabaha, mousharaka, salam…) permettra une meilleure maitrise du risk management ;
- Les rapports entre les institutions islamiques et les déposants et investisseurs seront plus transparents en terme de distribution des profits ;
- L’unicité des traitements comptables facilitera le travail de revue par les Sharia Boards et par les auditeurs externes ;
- Les règles de reporting comptable permettront un vrai benchmarking entre les institutions islamiques elles mêmes, et en comparaison avec les banques conventionnelles.
En conclusion, la filialisation des banques islamiques permettrait une meilleure maîtrise de leurs risques spécifiques en interne, une meilleure transparence de leurs activités et de leurs comptes, et une meilleure supervision externe, voire un meilleur niveau de gouvernance d’entreprise.
